LA FISCALITE SUR LES SUCCESSIONS EN CORSE :Les « arrêtés Miot »
- L'Agence Bastia Balagne
- il y a 4 jours
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Avec les « arrêtés Miot », la Corse bénéficiait d’un statut fiscal spécifique en matière de droits de succession qui permettait de réduire ou de supprimer certains impôts indirects et certains droits d’enregistrement tels que les droits de succession. Après la loi n°2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse, ce statut particulier a été supprimé et remplacé par des mesures transitoires. Cette note de synthèse propose un bref historique de ces « arrêtés Miot » amenant à l’introduction graduelle de dispositions temporaires visant à réduire le désordre foncier avant un retour au droit commun prévu pour 2028.
Certains territoires français et notamment les zones rurales ou montagneuses, les DOM ou encore la Corse doivent faire face à une situation cadastrale et foncière très dégradée du fait de l’absence de titres de propriété. La Corse est d’autant plus concernée par ce phénomène qu’elle a bénéficié pendant plus de 200 ans d’un régime d’imposition sur les successions des biens immobiliers dérogatoire du droit commun : l’ « Arrêté Miot » de 1801.
André-François Miot envoyé sur l’île par Napoléon en tant qu’administrateur général avait découvert un territoire pauvre et avait proposé de ne pas faire appliquer de sanction en cas d’absence de déclaration de l’impôt sur les successions immobilières déposée dans le délai légal. La seconde spécificité de cet arrêté était le calcul de l’impôt sur un système forfaitaire et non pas sur la valeur des biens. Ce régime a eu pour conséquence de ne pas inciter les familles à régler leurs successions, ce qui a engendré un désordre juridique et foncier marqué par l’absence de nombreux titres de propriété et situations d’indivisions impliquant parfois jusqu’à plusieurs centaines d’héritiers potentiels.
Depuis une quarantaine d’année, les notaires de Corse ont entamé des démarches en faveur d’une reconstitution des titres de propriété. Dès 1983, la « Commission Badinter » présidée par monsieur Yves Martinetti, alors premier Président de la cour d’appel de Bastia, avait formulé des préconisations pour résorber le désordre foncier en passant notamment par la reconstitution des titres fonciers et la mise en vigueur de différentes mesures d’incitations fiscales :
Recours au régime de la prescription acquisitive (article 2258 du code civil) : confère au possesseur d’un bien dépourvu du titre de propriété authentique un titre de propriété sous certaines conditions telles qu’une possession ininterrompue, paisible, publique et non équivoque depuis au moins trente ans. Une circulaire rédigée par le Conseil du notariat de Corse allant dans ce sens a reçu l’aval du ministère de la justice en 1989. Ainsi, 7 883 actes de notoriétés ont été établis depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Toutefois, ce dispositif reste fragile car il n’entre pas dans le cadre d’une quelconque règlementation législative et certains actes pourraient être annulés en cas de contestations.
Mise en place des incitations fiscales pour favoriser l’établissement de titres de propriété et le règlement successoral des situations d’indivisions. De 1986 au 31 décembre 2014, par reconduction de plusieurs lois successives, un dispositif d’exonération d’imposition temporaire sur les actes de partage de succession des immeubles situés en Corse a été mis en place à la condition que l’acte soit authentique.
La loi n°2002-92 du 22 janvier 2002 a mis fin à ce régime dérogatoire et amorcée un retour progressif au droit commun. Le législateur a ainsi décidé que ce statut ne s’appliquerait plus qu’aux biens acquis avant le 22 janvier 2002 et à ceux dont le titre de propriété manquerait.
Ce dernier élément a de fait justifié la création d’un établissement public pour la reconstitution des titres.
UN OUTIL POUR RESORBER LE DESORDRE FONCIER
Parmi les actions déjà engagées pour la reconstitution des titres figure la constitution d’un groupement d’intérêt public : le GIRTEC1 . Constitué entre l’État, la Collectivité Territoriale de Corse, les associations des maires de Corse-du-Sud et de HauteCorse et le Conseil régional des notaires et mis en place par la loi n°2006-728 du 23 juin 2006, il est actuellement présidé par monsieur Paul Grimaldi, magistrat de l’ordre judiciaire et a vocation à apporter un soutien technique gratuit aux notaires et aux collectivités dans la reconstitution des titres de propriété pour les biens fonciers et immobiliers. Sans contrainte de secret professionnel, il a pu récolter de nombreuses informations comme des plans cadastraux allant jusqu’à l’époque napoléonienne. Il a développé des outils informatiques qui lui ont permis de numériser ces plans mais aussi de faire de l’exploitation de données cartographiques du cadastre. Son action se fait réellement sentir à compter de 2012, année où le GIRTEC atteint son rythme de croisière, avec une hausse de 10 % des formalités de publication au fichier immobilier et l’établissement de plus de 3 000 titres de propriété établis avec son soutien. Son utilité a été reconnue mais le travail de titrisation demeurant à ce jour encore colossal, son action a été reconduite au moins jusqu’en 2027.
UNE SITUATION TOUJOURS DIFFICILE MALGRE LES AVANCEES
En octobre 2013, le groupe de travail « Bercy-Corse » mis en place le 29 décembre 2012 livre dans un premier rapport, ses principaux constats sur la situation foncière en Corse en s’appuyant notamment sur les données du GIRTEC :
Présence de nombreux biens non délimité (BND) : parcelles sur lesquelles s’exercent plusieurs droits de propriétés sans délimitations connues. 63 800 BND soit 6,4 % des parcelles contre 0,4 % au niveau national 15,7 % de la surface cadastrée en hectare Part élevée du nombre de propriétaires apparents (en réalité décédés) Selon les informations récoltées par le GIRTEC, 350 304 parcelles en 2015 soit 34 % du total des personnes. Ce phénomène s’observe plus particulièrement en Balagne, dans le Cap Corse, dans la région d’Ajaccio et de Sagone et dans l’Extrême-Sud (31 % de la surface en ha).
47 % des parcelles n’ont fait l’objet d’aucune publication au fichier immobilier entre 1956 et 2006.
La « propriété arboraire » dans les régions montagneuses participe également à la confusion immobilière même si elle reste marginale.
De nombreux décès ne sont pas suivis d’une transmission des droits immobiliers
Ces éléments ne sont pas sans conséquence pour les citoyens et les collectivités. L’absence de titres prive les familles de leurs avantages et devoirs prévus par la Constitution (articles 2 et 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1789). L’une des principales conséquences étant la détérioration voire la perte de nombreux patrimoines qui place les résidents insulaires dans une situation d’inégalité vis-à-vis de ceux vivant sur d’autres territoires. Cette situation génère des difficultés au sein de l’ensemble de la communauté car elle représente un obstacle à toute initiative d’exploitation, de cession ou de valorisation du territoire.
Enfin, pour les collectivités locales plusieurs handicaps sont engendrés par cette situation :
Les problèmes de recouvrement des impôts locaux normalement dus notamment dans le cas où les avis sont adressés à des propriétaires décédés
Les problèmes de sécurité des biens et des personnes :
Dégradation de certains biens non titrés et non entretenus
Prévention des incendies dans le cadre du plan de prévention des risques d’incendies de forêt pas optimale sans l’identification du propriétaire des sols.
DES MESURES D’INCITATION FISCALE TRANSITOIRE AVANT LE RETOUR AU DROIT COMMUN
Malgré des assouplissements législatifs, de nombreux blocage persistent c’est pourquoi, les députés ont présenté un projet de loi et des mesures d’incitation fiscale à l’Assemblée Nationale qui en a définitivement adopté le contenu le 15 février 2017 – Il avait reçu au préalable un avis très favorable lors de la session du 24 novembre 2016 de l’Assemblée de Corse.
La loi adoptée contient cinq articles qui concernent directement la Corse :
Les article 1er et article 2 qui visent à faciliter la reconstitution des titres et le règlement des indivisions par le biais d’outils juridiques.
Article 1er : reconnaître aux yeux de la loi le dispositif de propriété acquisitive reconnue depuis 1989 par le Ministère de la Justice et réduire le délai de contestation de trente ans à cinq ans.
Article 2 : Abaisser la majorité requise à la simple majorité à la place de la majorité des deux tiers en vigueur dans les cas d’indivisions pour accomplir les actes.
Les articles 3 et 5 qui ont pour but d’accompagner la reconstitution des titres par des incitations fiscales transitoires.
Article 3 : Proroger de dix ans l’abattement des droits de mutations à titre gratuit sur la première mutation, la reconstitution des titres étant loin d’être finie et dans les autres cas, faire passer le taux d’abattement de 30 % à 50 % pour favoriser les donations.
Article 5 : Rétablir pour dix ans l’exonération temporaire des droits de partage sur les actes de partage de successions des immeubles situés en Corse.
L’article 4 qui accorde un délai supplémentaire au régime dérogatoire pour donner le temps nécessaire au règlement du désordre foncier.
Article 4 : Proroger l’exonération partielle à hauteur de 50 % des droits de succession sur les biens immobiliers en Corse
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